Nous pensons souvent suivre notre intuition, cette voix intérieure calme et fluide qui semble nous souffler la bonne direction. Mais parfois, ce n’est pas l’intuition qui parle. C’est notre cerveau, avec ses filtres et ses habitudes de pensée.
Dans cet article, je vous propose d’explorer un sujet passionnant : les biais cognitifs, ces mécanismes inconscients qui peuvent brouiller notre perception intuitive.
J’ai eu la chance de publier récemment un article sur ce thème dans le magazine Science & Cerveau, où je présente trois biais principaux qui se confondent souvent avec l’intuition. Dans cet épisode, je les résume brièvement, puis je vous en partage trois autres, tout aussi intéressants.
Et je préfère le préciser : je vais sans doute écorcher quelques noms de chercheurs ! Ce que je partage ici est le fruit de mes observations et de mes expériences, et il continuera sans doute d’évoluer.
Comprendre les biais cognitifs
Les biais cognitifs naissent du besoin qu’a notre cerveau d’aller vite. Pour simplifier le réel, il utilise ce qu’on appelle des heuristiques, c’est-à-dire des raccourcis mentaux. Ces mécanismes sont utiles dans la vie quotidienne, mais ils entraînent parfois des jugements erronés.
Et lorsque nous explorons notre intuition, ils peuvent se glisser dans nos ressentis, au point de nous faire croire que nous “sentons”… alors que nous interprétons.
Trois biais cognitifs souvent confondus avec l’intuition
Le biais de confirmation
Mis en évidence par Peter Wason dans les années 1960, il nous pousse à ne voir que ce qui conforte nos croyances. Par exemple, nous pouvons penser qu’une personne “n’est pas fiable” simplement parce qu’elle nous rappelle inconsciemment quelqu’un du passé. Chaque petit signe est alors perçu comme une preuve : “je le sentais !”. Mais en réalité, nous cherchons à valider notre croyance.
L’intuition, elle, n’a rien à prouver. Elle reste ouverte, curieuse et sans jugement.
Le biais d’ancrage
Décrit par Tversky et Kahneman, ce biais consiste à se baser sur la première information reçue pour juger la suite. Si l’on nous dit qu’une personne est “charismatique”, nous aurons tendance à lui prêter d’autres qualités sans le vérifier. Et si une bonne impression s’installe, on croit parfois que c’est de l’intuition, alors qu’il s’agit d’un simple effet d’ancrage.
Le biais de représentativité
Ce biais, également étudié par Kahneman et Tversky, nous pousse à juger une situation en fonction de stéréotypes familiers. Une personne bien habillée, à la voix assurée, sera spontanément perçue comme compétente. Ici encore, ce n’est pas l’intuition qui s’exprime, mais un raccourci mental fondé sur nos références culturelles.
Trois autres biais qui brouillent notre discernement intuitif
L’illusion de validité
Kahneman et Tversky (1973) ont montré que nous avons tendance à croire qu’un jugement est juste simplement parce qu’il “semble cohérent”. Dans leurs études, le mot “intuition” désigne un jugement rapide, pas une perception subtile.
Par exemple, un recruteur peut penser qu’un candidat réussira “par intuition”, simplement parce qu’il a confiance en lui. En réalité, cette impression repose sur une cohérence apparente, non sur une vraie perception intérieure.
Dans l’exploration intuitive, nous sommes invités à repérer nos jugements, même inconscients, pour éviter de les confondre avec de véritables élans intuitifs.
Le biais de surconfiance
Selon Don Moore et Paul Healy (2008), nous surestimons la précision de nos jugements dans près de 80 % des cas. C’est le fameux “je le savais !” après coup. Ce biais peut facilement se déguiser en intuition, car il donne l’impression de certitude. Mais cette certitude est mentale, pas intuitive.
L’intuition véritable ne cherche pas à avoir raison ; elle révèle simplement une information neutre.
Ici, nous sommes invités à cultiver l’humilité, à reconnaître que nous pouvons capter juste… tout en interprétant faux.
L’heuristique de l’intuition
Concept développé par Kahneman et Klein (2009), elle décrit la tendance du cerveau à produire des réponses rapides qui semblent intuitives, mais qui reposent sur des schémas mémorisés.
Par exemple, lorsqu’une nouvelle opportunité nous enthousiasme immédiatement, il peut s’agir d’un élan juste… ou d’une émotion liée à notre besoin de nouveauté. L’intuition, elle, ne dépend pas du passé : elle naît d’une connaissance directe, silencieuse, souvent dénuée d’émotion.
Apprenons ici à repérer l’émotion du moment déguisée en intuition.
Comment faire la différence entre biais cogntiifs et intuition ?
Les biais cognitifs et l’intuition apparaissent sans effort, mais leur nature diffère profondément.
- L’intuition surgit spontanément, souvent avec un sentiment de justesse intérieure. Le biais, lui, s’appuie sur un raisonnement implicite, parfois accompagné d’une justification mentale.
- L’intuition peut se manifester comme une évidence calme – “je sais, c’est tout” – alors que le biais s’exprime plutôt par un “je sais” qui cherche à se rassurer.
- Enfin, l’intuition est toujours contextualisée : elle répond à une question ou à un vécu. Le biais, au contraire, applique un jugement global.
Que retenir sur l'intuition et les biais cognitifs ?
Les biais cognitifs et l’intuition partagent une apparente certitude, mais pas la même origine. Les biais viennent du mental et des expériences passées. L’intuition émerge d’un espace intérieur paisible, où la pensée se tait. Apprendre à distinguer les deux, c’est affiner notre discernement et retrouver confiance dans nos perceptions réelles.
Alors, la prochaine fois qu’une évidence surgit, prenons une respiration et demandons-nous : “Est-ce que je sens, ou est-ce que je conclus ?”.



